jeudi 1 mai 2014

Pourquoi les témoins ne viennent-ils pas toujours en aide aux victimes? Une société de fantômes



Muriel Salmona (psychiatre, Présidente de "stop au déni")
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Agressions : pourquoi les témoins ne viennent-ils pas toujours en aide aux victimes? est le thème d'une intervention de Muriel Salmona à propos de la jeune femme agressée sexuellement dans le métro de Lille dans l'indifférence générale, personne n'étant intervenue pour lui porter secours pendant plus de 20 mn durant lesquelles elle a subi cette agression avec menaces de viol totalement seule, abandonnée : ce n'est qu'en dehors du métro, lorsqu'un automobiliste l'a enfin secouru que.. (les gens l’ont aidée ?)
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HL : - La peur, tout simplement. Un jour dans le TGV, un jeune –type casquette à l’envers, peut-être ? magrébin ? excité- a sorti juste derrière moi.. un petit téléviseur qu'il tentait de mettre en route. Grésillements insupportables, impossible de se concentrer, de bosser et ça durait..  Je lui demande d'arrêter, il refuse, le ton monte immédiatement –de son fait d’abord- .. De guerre lasse je vais chercher le contrôleur. Lorsque celui-ci arrive avec moi, ô stupeur, plus de télé ! Il l’interroge, lui demande s'il écoutait son poste, l'autre, indigné, nie, crie.. Perplexe, le chef du train se tourne vers les passagers (10?).. qui détournent la tête, gênés, personne n'a rien entendu, n’a été dérangé (!) mmm parfois la réponse est un peu vague.. "je dormais (!) .. je n’ai rien vu".. Mais il y a une femme asiatique assise juste en face du gus, dans l'autre travée, avec un bébé, qui, elle, ne pouvait pas ne pas avoir "vu" et entendu ; (de plus, elle avait été particulièrement incommodée -le bébé ne pouvait pas dormir-).. Et la voilà qui nie, mais carrément (!).. Du coup, tous reprennent. Non il n’y avait rien… (on passe donc  du "je dormais".. "je n’ai pas fait attention" à "non il n’y avait rien")..  jusqu'à ce qu'enfin une femme d'un certain âge confirme! Une seulement  sur (?) 10 au moins, pas plus ! a osé "me" soutenir. Sans elle, pour le contrôleur, je passais pour dingue. 
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Lorsqu’à Nîmes, je descends (ainsi que la jeune asiatique et son bébé) je lui demande "pourquoi n'avez vous rien dit? Pire, pourquoi avez-vous menti?" elle me répond, très agressive "moi je me mêle pas des affaires des autres, fichez-moi la paix." Notons ici qu'il s'agissait aussi et d'abord des siennes et de celles de tous.
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Des expériences ont été faites en sociologie sur ce sujet, qui met en jeu la "prise de pouvoir" par un individu sur tout un groupe. Presque toujours, le groupe choisit de "témoigner" (ou de ne pas témoigner) d’intervenir (ou de s’abstenir), de se positionner en faveur de celui qui semble le plus fort, le plus inquiétant. En cas de renversement de "pouvoir", il change.

Un exemple tragique : Alfredo Tale Vax, lui, est intervenu, seul: ce n'est peut-être pas un hasard s'il venait depuis peu du Guatemala. Et il en est mort, justement parce que pour lui, personne n’est intervenu, même pas pour appeler les secours .http://alfredotale.blogspot.fr/

- Si on est moins nombreux dans un endroit, métro ou ailleurs, plus spontané sera notre aide. Comme si le fait d'être en foule rendait idiot, ça fait penser tout bas "Je ne dénonce rien, je n'interviens en rien, il y aura bien quelqu'un parmi nous qui réagira" sauf que là, personne, absolument personne ne réagit, laissant la victime livrée à son sort. Effet de mouton plus aigu quand on est en foule.
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HL : - Oui, c'est le principe du "j'attends qu'un autre plonge" chacun se disant la même chose. Cela vient de loin, de l'école, des parents, du moins certains; on nous inculque –ou nous inculquait autrefois- dans l'enfance de ne jamais nous mettre en avant, de ne jamais nous faire remarquer, de ne jamais "répondre" aux adultes.. sous peine de sanction. Cela perdure à l'âge adulte : certains, tous peut-être, nous sommes des enfants tremblant de peur devant le "grand" qui terrorise, -quel que soit son âge-. Cela explique que dès que l’un sort de la foule, se positionne, prend le "pouvoir", tous suivent, soulagés : enfin un leader –un "adulte"- derrière qui se cacher.. mais pour la bonne cause !… Dans le cas cité, il y avait environ dix personnes seulement, pas une foule, tous étaient également dolés.. et certains sont allés jusqu'à mentir en faveur de NOTRE "agresseur" commun. Ce qui est intéressant et grave, c'est que sans la dame âgée qui a confirmé, c'est la dénonciatrice, moi, qui passait pour persécutrice, menteuse. Même s’il ne s’agissait que d’incivilités mineures, cette attitude est encore pire que la simple passivité.
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- Petit à petit, on va éveiller les consciences. Peut-être que ce qu'il s'est passé à Lille, dont tout le monde parle, que le procureur a pris en charge (bravo à lui !), va faire jurisprudence. Bonne émission.
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HL : - J'observe qu'il y a longtemps j'ai été agressée -pas sexuellement (1)- par des inconnus dans la rue (deux fois, une dans le métro, je ne saurais jamais pourquoi, une à une billetterie à Montpar) et que les deux fois j'ai été magnifiquement défendue... J'étais jeune, (24 et 32 ? ans) pas mal, habillée ni bourge ni marg, sportive.. Cela aurait-il un rapport? C'était autour des années 72 (pour les statistiques). La première (métro) il était.. 4 heures ? de l'après midi, station Montpar, il y avait foule.. la seconde, (celle de la billetterie), 11 h du soir, (il n'y avait personne), mauvaise heure d'après les flics, boulevard de Vaugirard (la banque qui est à côté du musée de la poste). Aucun trauma grâce à ces gens que je remercie ici! puis aux flics (idem!!) Sauf que je me méfie des billetteries surtout le soir.

Il est intéressant sociologiquement de voir QUI est défendu, dans QUELLES circonstances, et QUI ne l'est pas.
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(1) Une piste politiquement incorrecte, peut-être... Le syndrome de la femme-pour-qui-Alfredo-s'est-sacrifié. Il arrive parfois, surtout lorsqu'il s'agit de coups, qu'une femme défendue ne défende pas ensuite son défenseur/e surtout si l'agresseur est on mari ou compagnon, par peur de représailles ensuite -sur les enfants par exemple-... toutes les femmes qui ont travaillé dans des groupes féministes l'ont au moins une fois connu. Cela peut expliquer que c'est ce type d'agression qui suscite le moins de "vocation" de défense. C'est d'une certaine manière ce qui est arrivé à Alfredo ; la femme -qui s'est enfuie- pour laquelle il a pris ce coup de couteau fatal ne s'est pas souciée ensuite de celui qui s'était interposé entre son agresseur et elle, même pas pour passer un coup de fil aux secours afin qu'ils viennent voir ce qui était advenu de lui. Cela peut (?) expliquer que l'on intervienne davantage pour défendre celui/celle qui semble.. le plus "fort/e" en apparence ou le plus "normé" (blanc/he, non arabe, joli s'il s'agit d'une femme, banal, bourge...) et que les SDF, ce qu'était plus ou moins Alfredo, soient rarement défendus. Allongés au sol ? normal, ils sont ivres. Saignant? Une bagarre de pochards..) Il en va différemment pour le vol.
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Précision intéressante (tout compte) : je suis blanche (type nordique) et il ne s’agissait pas d’une agression sexuelle ; pour la première, pas d’explications, mais pour la seconde, c’était évidemment un vol.. Peut-être tout le monde se sent-il concerné par le vol, mais pas par le viol (les gens qui m’ont défendue, pour l’agression du métro étaient  des hommes et des femmes, peut-être une majorité de femmes (?) mais pour l’agression de la billetterie, deux hommes (un gardien d’immeuble portugais alerté par mes cris, et un touriste)  –mais il n’y avait qu’eux dans la rue-.  Détail : le second de mes défenseurs, resté pour me porter secours (j’avais une légère bosse, rien de grave) a ensuite été comme moi "promené" jusqu’à 3 heures du matin !! dans les rues de Paris.. (recherchant mon agresseur, les policiers "faisaient" toutes les billetteries, de Saint Germain jusqu’à Pigalle, Barbès..).. malgré sa fatigue et mes prières (laissez ce monsieur partir s’il vous plaît) mais il l’a très bien pris.. Il venait d’arriver (c’était un antiquaire nîmois !) et avait une exposition le lendemain matin tôt à la Porte de Versailles. Nuit blanche presque. Je gage qu’il se souviendra de son voyage. Cela aussi peut-être explique les réticences à intervenir et même à témoigner! Autre détail : les policiers, sans racisme apparent, ont un peu  (pas beaucoup) insisté "c’était un étranger ? typé ?" Pas du tout, nos témoignages concordaient : un très grand, blond aux yeux bleus. Ah bon.. 
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 http://femmesavenir.blogspot.fr/2014/05/le-phenomene-du-transfert-des.html

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D'AUTRES TYPES D'AGRESSION, MÊMES RÉACTIONS

Il est encore plus intéressant de voir QUI s'interpose, qui défend la victime (car les passifs, la majorité semble-t-il, sont plus faciles à cerner, ils pencheront de l'autre côté dès que quelqu'un se lèvera). Et d'étendre la recherche: par exemple en va-t-il de même lors d'une agression "au second degré" (des propos antisémites dans un troquet à un comptoir) ? Peut-être. Cela aussi devrait être sociologiquement investigué. 
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Des gus au énième pastis relatent une histoire passionnante, un vendeur de voitures d'occase a fourgué au héros du jour une bagnole maquillée, un sale voleur.. tous approuvent ! Détails sur le moteur, je n'écoute pas mais entends, pas moyen de faire autrement... "Un fej, c'est sûr !" tous approuvent, ou "s'il l'est pas il mériterait de l'être" nuance l'intello de la troupe.. d'autres anecdotes suivent.. Tous les braves gens assis en famille ou seuls écoutent sans réagir.. *Il le faut pourtant, mais j'ai peur, non pas physiquement mais.. de déranger.. de rompre une harmonie, d'être impolie (!) : "qu'avez-vous contre les juifs? ce sont avec de tels propos qu'on débouche sur les camps nazis..." Là, j'ai l'impression d'avoir déféqué sur une nappe devant des invités se restaurant paisiblement. Silence de plomb. Cœur à 140. On me regarde. Tous ! Certains s'en vont. Le patron sans un mot, visage impassible de psy devant un patient serial killer, m'apporte la note. Rien n'est dit et lorsque je pars, bouleversée [cela se passe à Alès, mon bled, boulevard Carnot, je me suis assise devant un café en attendant mon rendez-vous avec mon psychothérapeute -je suis en avance- (!!) ].. un gars m'aborde discrètement et me félicite.. merci.. mais devant le troupe il n'a pas dit un mot. Le seul fait d'avoir quitté le troquet lui semble un acte de bravoure. Soit. Mais pas clair. 
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Même affaire mais là j'étais en position de force (et cependant!) ; je suis invitée à parler d'un livre ("Femmes d'Iran") à l'auditorium de la médiathèque. Tout baigne... jusqu'à ce que QUATRE femmes seulement, assises au milieu, ostensiblement voilées, interviennent (fausses questions, arrogance, agressivité, coupure de parole, on sent qu'elles sont en mission).. je tente de répondre, je pense ne pas trop mal m'en tirer.. mais petit à petit, beaucoup de gens partent.. discrètement. Les bancs se vident, c'est effarant et je les vois se tourner, visiblement satisfaites : à la fin, il n'y a presque plus personne sauf les organisateurs et moi-même. Peu de ventes, aucune des femmes qui s'en allaient n'ayant osé passer par la grande porte. A ma question -à une amie journaliste- "pourquoi? " réponse "on a vu que ça dégénérait, ça n'était plus intéressant.." C'était le but des quatre évidemment => Les remous dérangent, que l'on soit en position de "pouvoir" ou non, qu'ils soient justifiés (là il,était clair qu'ils s'agissait de provoc) ou non.. C'est peut-être plus sensible dans une petite ville de province où chacun a peur de l'autre.  

LE DOSSIER
http://femmesavenir.blogspot.fr/2014/05/le-phenomene-du-transfert-des.html


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