samedi 22 mars 2014

Le machisme en milieu anar ou la fin des haricots





D'après Marie Joffrin
Texte d'argument et de réflexion sur le sexisme en milieu militant d'une camarade de la Fédération anarchiste.




LE SEXISME DANS LES MILIEUX
 MILITANTS LIBERTAIRES 


LES ORGANISATIONS ANARCHISTES se caractérisent par une faible présence de militantes ; rien de surprenant (les femmes sont sous-représentées dans toutes les organisations politiques) mais dans ce cas, ça interpelle : pourquoi des organisations dont l’égalité et le refus des dominations sont  la raison d'être première attirent (ou retiennent) si peu celles qui sont en premier chef victimes de celles-ci? Paradoxe! Est-ce relié à l'image de violence et de virilité des ces organisations, à certains éléments de leur culture, l’ouvriérisme, le culte de la force, l’antifascisme radical?.. craintes reposant sur une ignorance de la diversité des mouvements et des organisations.. mais pas sans fondement. Certes dans les groupes anar, surtout depuis les années 2000, les dénonciations du sexisme font partie des déclarations de principe mais cela constitue une nouveauté... et, au-delà de ces intentions, le sexisme y sévit bel et bien. Comme ailleurs? Peut-être, mais là il ne devrait pas.



Toujours l'antienne: la lutte contre l’État, le capitalisme, la religion.. prioritaire par rapport à celle contre le sexisme "pur" -car il est vrai que celle-ci est en partie incluse dans les autres-, nous y reviendrons. Certains hommes sont même explicitement ou implicitement misogynes (comportements, agressions verbales voire physiques) et ces questions ne peuvent être évacuées en responsabilisant la société, le système. Toutes ces justifications, en plus de les excuser, sont méprisantes vis-à-vis des femmes et improductives. (Ndlr, c'est cependant ce que tentera de faire l'auteure plus loin!) On ne peut pas davantage les occulter sur la base que critiquer un mouvement aux puissants ennemis est trahison. "Agir, c’est combattre", Proudhon, grand misogyne s’il en est (mais les auteurs anarchistes ont cela de formidable qu’il est possible de prendre chez eux le meilleur et d’ignorer ou rejeter le pire)? bien sûr.



LE POIDS DE LA SOCIÉTÉ PATRIARCALE



Les textes anarchistes expriment souvent la difficulté de vivre en accord avec des principes égalitaires et libertaires lorsqu’on a été socialisé dans une société inégalitaire, pour reprendre l’expression d’Emma Goldman, avec nos "démons intérieurs". (Ndlr : il se trouve seulement que ces "démons intérieurs" ne sont pas équivalents, aux uns, il profitent, aux autres, ils nuisent!) Cela est vrai pourtant pour les anarchistes des deux sexes, certaines femmes ayant intériorisé les normes de la société au point de croire qu’elles seront valorisées par les hommes si elles sont sexuellement attirantes, discrètes, serviables, souriantes… De même les hommes, anarchistes ou non, socialisés à considérer les femmes comme des objets sexuels et en tirer profit. Les anarchistes ne sauraient toutefois se dédouaner en attribuant leur propre misogynie à la société.



QU'EST-CE QUE LA MISOGYNIE ?



Le mépris des femmes. La violence à notre encontre n’est pas la misogynie même si elle a quelque chose à voir avec. La misogynie est un premier pas vers la violence mais parfois ne débouche sur rien d’autre qu’elle-même. Des propos, des plaisanteries, des écrits misogynes peuvent ne pas conduire à des violences directes (ce qui ne veut pas dire qu’ils sont sans conséquences) et à l’inverse, une explosion de violence (agression, viol, meurtre) dont une femme est victime peut éclater sans que les prémices, existantes non, aient été perçues. Voir la pièce de théâtre "Othello et Juliette" http://femmesavenir.blogspot.fr/2014/03/othello-et-juliette-la-scene-un.html



La notion de mépris est paradoxale. C’est, tout en feignant de n’en faire aucun cas, dévaloriser l’objet de son mépris. Mépriser c’est ignorer quelqu’un sciemment, volontairement : une mise en scène, une affectation. "J’ignore votre existence" signifie : "Je vous place dans une zone de non-existence que je crée tout spécialement pour vous." Absurde? Oui, mais cela marche. Il en est ainsi du sexisme en milieu militant. On prétend que ce "problème" (les femmes sont un "problème"!)  n’existe pas.


Le mépris des femmes, première étape de la misogynie, conduit à la haine. Non pas de telle femme particulière comme peut le croire celle qui le subit de plein fouet, mais des femmes en général, des femmes en tant que femmes. À la violence. Après les avoir placées en situation de non-valeur, la haine les reconstruit en objet cible. Le terme du continuum de la misogynie est : mépris --> haine --> violence (exemple de Léo Ferré, qui exprime tout au long de sa carrière les plus nobles sentiments comme les propos misogynes les plus atterrants. "L’intelligence des femmes, c’est dans les ovaires… Les pires femmes de toutes, les plus grandes salopes, sont les femmes cultivées, celles-là, je ne les laisse plus entrer chez moi.") La violence s’entend comme le passage à l’acte. Ferré ne passe pas à l’acte, d’autres hommes si, exemple la tuerie de l’École polytechnique par Marc Lépine le 6 décembre 1989, le tueur identifiant les féministes comme des ennemies à détruire.



VALEURS VIRILISTES



L’anarchisme traditionnel valorise la virilité la plus conventionnelle : l’homme-combattant-rebelle-courageux, milicien de la guerre d’Espagne, manifestant sur une barricade avec un cocktail Molotov, redskin engageant des combats de rue, vedette punk… et les ancêtres barbus comme Bakounine et Kropotkine... Les anarchistes ont souvent des attitudes viriles lorsqu’il y a discussion au sujet de pratiques militantes avec lesquelles des femmes – mais pas seulement – peuvent ne pas être à l’aise. C’est la manarchy (– man, homme – et anarchie– anarchy), un comportement agressif et compétitif au sein du mouvement tout à fait conforme aux rôles genrés traditionnels: agir de façon virile et élitiste, se prétendre plus vertueux ou plus efficace que les autres etc.. S'ajoute le fait que les hommes, majoritaires dans les milieux anarchistes, peuvent rivaliser dans ce type d’attitude (Ndlr, c'est moi qui ai la plus grosse).



PRIORITÉ STRATÉGIQUE


Une variation sur le thème de la priorité stratégique (d'abord la lutte contre l'État, le reste après) peut laisser entendre que la mobilisation féministe surtout en nonmixité représente non seulement une dissolution des forces anarchistes mais une exclusion. Victimes du système patriarcal eux aussi (ce qui est vrai mais pas dans la même mesure et selon les mêmes modalités que les femmes), les hommes seraient discriminés par ces femmes qui ne respectent plus les principes anarchistes universalistes d’égalité. En conséquence, les féministes ne devraient pas cibler les hommes, mais lutter à leur côté contre le patriarcat en tant que système extérieur au milieu anarchiste et non contre leurs alliés. Le mot trahison n'est pas loin.



PRIVILÈGES D'HOMMES



La théorie anarchiste elle-même permet d’expliquer cette dérive : l’être humain n’est ni bon ni mauvais mais les deux. (Ndlr: à la limite les deux notions n'ont pas de sens.) "Loin d’imaginer les hommes meilleurs qu’ils ne sont, nous [les anarchistes] les voyons tels qu’ils sont, c’est pourquoi nous affirmons que le meilleur des hommes est rendu essentiellement mauvais par l’exercice de l’autorité". (Kropotkine.) C'est la structure dans laquelle l’individu se trouve et la position qu’il y occupe qui modifie son comportement. C'est vrai pour les hommes en général, qu’ils se disent proféministes ou non, qu’ils soient anarchistes ou non. Christine Delphy explique, au sujet d’un homme hypothétique – il pourrait être anarchiste – qui voudrait entretenir une relation égalitaire avec une femme: "Il ne peut pas supprimer les désavantages institutionnels des femmes." (Ndlr, et en cas de dissension, IL PEUT TOUT A FAIT S'EN SERVIR ! Cf "Une femme embarquée" : http://femmesavenir.blogspot.com/2014/01/une-femme-embarquee.html) on retrouve souvent une division sexuelle des tâches dans les groupes anarchistes, les hommes se réservant les rôles prestigieux reléguant les femmes à ceux d’auxiliaire (par exemple elles peuvent être moins mises en avant lorsqu’il s’agit d’entrer en contact avec d’autres collectifs ou organisations.)



Même les homos bénéficient de plusieurs avantages masculins face aux femmes. Ils disposeront en général de plus d’argent, leur parole sera perçue comme plus crédible, ils sauront profiter du travail accompli pour eux et sans salaire par des femmes, auront moins de risque d’avoir été harcelés ou agressés sexuellement (donc moins de probabilité d’avoir des séquelles psychologiques)…



Si les anarchistes savent bien que les politiciens et les patrons n’abandonneront leurs privilèges que s’ils sont combattus et vaincus, ils n'acceptent pas facilement que cela vaut pour les femmes.. et leurs privilèges à eux. Qu'elles les contestent et les combattent, ils réagissent en usant justement des mêmes privilèges qu'ils honnissent -lorsqu'il s'agit de la classe dominante- trouvant parfois des alliés chez d'autres hommes ou chez des femmes… d’autant moins enclins à s’ouvrir aux critiques féministes à leur endroit qu’ils tirent en général un sens de supériorité morale à s’identifier comme des opprimés ou alliés des opprimés ; les anarchistes sont donc particulièrement réfractaires à l’idée qu’ils seraient eux-mêmes des privilégiés et des dominants.



QUE FAIRE ?  



Les structures des collectifs et organisations libertaires sont peu adaptées pour remettre fondamentalement en cause les phénomènes d’auto-exclusion des femmes (Ndlr, forcément puisque ces "problèmes" ne sauraient exister dans les milieux libertaires!) Ainsi, sans tours de parole systématiques et encore moins de modération des échanges visant à favoriser la prise de parole des militantes, (Ndlr, ni de parité) il est malaisé pour les femmes d'intervenir dans les débats dominés par les hommes.  



Les féministes doivent continuer à se battre, à produire textes et analyses favorisant la prise de conscience des hommes et des femmes. Les hommes anarchistes devraient changer leurs comportements au vu de cette littérature féministe. (Ndlr.. si j'y crois!) Les théories anarchistes comptent des outils conceptuels qui devraient permettre d’identifier des solutions. Certes, les hommes anarchistes sont le produit d’une société patriarcale et les héritiers des traditions misogynes, en plus d’être souvent détournés du féminisme par une obsession pour la lutte contre l’État, le capitalisme, le racisme, la guerre, etc.. mais la grille d’analyse structuraliste proposée par des anarchistes comme Charlotte Wilson et Pierre Kropotkine devrait leur permettre de comprendre qu’ils se comportent comme des hommes ordinaires parce qu’ils évoluent au sein du mouvement militant dans des structures inégalitaires avantageant les hommes et encourageant chez eux l’instinct de domination face aux femmes.


L'anarchisme ne fonctionnera pas si les hommes continuent à désirer exercer leur domination au sein même des groupes anar. Une contradiction majeure des principes.



M. J.



1. Francis Dupuis-Déri, « Hommes anarchistes face au féminisme : pistes de réflexions au sujet de la politique, de l’amour et de la sexualité », Réfractions n° 24 «Des féminismes, en veux-tu, en voilà», mai 2010, p. 107-121.



2. Maggie, Rayna, Michael, Matt, Stick It To the Manarchy [http://www.infoshop.org/rants/manarchy.html] produit par des anarchistes féministes et proféministes après les actions de contestation de la convention démocrate à Boston, à l’été 2004.



3. Pierre Kropotkine, L’Anarchie, Paris, 2006 [1896], p. 39.



4. Christine Delphy, «Nos amis et nous : Fondements cachés de quelques discours pseudo-féministes », L’Ennemi principal I : Économie politique du patriarcat, Pa

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La responsabilité individuelle évacuée ou diluée dans les milieux gauchistes ou anar au profit des concepts, société, patriarcat, capitalisme..
http://femmesavenir.blogspot.fr/2014/05/le-responsabilite-individuelle-evacuee.html



LES DOSSIERS LARRIVE, la violence psychologique et les autres..
http://femmesavenir.blogspot.fr/2014/02/les-dossiers-violences-psychologiques.html

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