lundi 11 août 2014

38 ieme jour. L'affaire Maurizius

[Tout est fermé à St Ambroix. Dès 8 h et demies! En Août. Obligée d'aller à Alès (18 km) D'un côté, ce n'est pas si mal. Retour à la "civilisation" si l'on peut dire, le "Macdo" (!) la wifi sans code, (et même sans consommer, c'est précisé !) le parking juste à côté d'où je peux surveiller Yok.. (qui lui même surveille la bagnole, rouspétant dès qu'un quidam s'approche) et de surcroît théoriquement ouvert jusqu'à minuit... comment Momo ou les petits troquets de village peuvent-ils rivaliser? Sur la terrasse, beaucoup de gitans, des gosses, et sans doute aussi des arabes de la Cite du Pré Saint Jean ou des faubourgs proches.. quelques femmes voilées mais "léger" -visage visible et même, un peu, les cheveux- et de tissus chatoyants brodés scintillants, un ornement plus qu'un voile... (des kurdes alevies?) Moins hard en tout cas que le noir intégral ou quasi. Et des esseulés comme moi, sur leur ordi.]

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Charles Vanel, dans le rôle d'Andergast, le Procureur antisémite ("naturellement")

Eleonora Rossi Drago, dans celui d'Anna

J'ai lu -en 2 jours- "L'affaire Maurizius" (le livre de Jacob Wasserman dont a été tiré le film éponyme). En fait, je l'avais en partie ? déjà lu, un livre culte de mon père, germaniste et passionné de droit. redécouvert sur la bibliothèque, grâce à l'absence de net à domicile.. et à la bougie. Et cette fois lu en entier.

LES FEMMES, LES JUGES, LES ARISTO ET LES JUIFS

Ainsi pourrait-on titrer le livre, qui, non pas dénonce mais pointe la situation des femmes, des juifs et le rôle écrasant de la justice de caste antisémite "bien sur" en Allemagne de 1927, bien avant le nazisme "ouvert".

Long!! Et même parfois un peu rasoir, puis une perle... et à nouveau des hors pistes qui embrouillent tout.. 500 pages, très germanique aussi, des développements pseudos philosophiques infinis, on ne sait plus où on en est, l'esprit de Luther, pesant, emphatique... (bien que le héros soit juif). Inspiré d'un fait divers exact dit-on, c'est une sorte de polar sur la partition du "rouge et du noir", une affaire Calas ou Dreyfus allemande, avant le nazisme, prémonitoire (bien qu'il soit très peu question de judaïsme et d'antisémitisme dans le livre, c'est juste une toile de fond, un ciel perpétuellement noir ou sombre que l'on ne remarque ni ne signale aux lecteurs tant on y est accoutumé... et c'est pire*)... Un antisémitisme également "partagé" -ici j'exagère un peu- par un voire deux des héros juifs, Maurizius et Varemme, qui -par ambition- ont rompu avec leur famille, (elle-même totalement assimilée, mais de peu d'envergure intellectuelle et sociale pour ces mixtes de Rastignac et de Julien Sorel.)

* Par exemple lorsque Varemme demande à Ertzel (le fils du procureur) s'il a entendu des propos antisémites chez lui -sous entendu tenus par son père- il répond en toute simplicité : "naturellement, souvent, mais je n'en ai jamais tenu compte..." puis on n'en parle plus, malgré la dimension de pavé de l'ouvrage.

Synopsis: dans l'Allemagne prussienne de la fin du 19 ieme siècle, Maurizius, jeune et brillant intellectuel ambitieux et fauché (issu d'un milieu trop "modeste" -selon son point de vue-) la coqueluche des salons et l'étoile montante de l'Université -une sorte de BHL, le talent en plus), épouse pour son argent et la sécurité qu'elle lui procure, Elli, une riche veuve, plus âgée que lui de 10 ans et peu séduisante.. Il la trompe, ce à quoi elle semble consentir, entretient même (avec son argent ? Sans doute en partie) une enfant naturelle dont la mère est morte.. et finit par s'éprendre de sa jeune belle soeur, Anna, qu'Elli a recueillie au foyer.. (on ne découvre qu'à la fin que cet amour est largement réciproque.) Anna, mystérieuse, discrète, silencieuse, presque mutique, (que l'on devine, malgré son jeune âge, blessée par la vie) soumise et révoltée à la fois, d'une beauté époustouflante traîne derrière elle une foule d'admirateurs, dont une célébrité encore plus marquante que Maurizius, un certain Varemme, personnage un peu inquiétant à l'entregent phénoménal ; il possède le don extraordinaire de briller n'importe où, de persuader n'importe qui de n'importe quoi : dès qu'il parle, tout devient à son gré, le consensus le suit pas à pas, le porte aux nues, fasciné, quelque soit le passé trouble du personnage dont en fait on sait peu de choses. (On apprendra à la fin que les bribes glorieuses qu'il a savamment distillées sur lui- même et sur sa famille sont fausses, il est simplement issu de petits boutiquiers juifs dont il a honte et avec lesquels il a complètement rompu.) Ajoutons que Maurizius, comme tous, comme Anna, (qui cependant prétend le haïr, ce qui n'est peut-être pas faux! -on apprend par la suite qu'il l''a violée autrefois-..) est totalement sous sa coupe. Par exemple, lorsque la jeune fille lui fera l'aveu du viol, Maurizius, en fureur, ira lui demander des comptes.. et l'autre le persuadera qu'Anna a menti, qu'elle a fantasmé thèses psychiatriques à l'appui.. ce qui la rendra folle de rage. (Par la suite on saura que c'est elle qui dit vrai.) Il demeure tout de même que l'attitude ambiguë de la jeune fille qui le voit, sort avec lui, semblant consentir à la cour pressante qu'il lui fait n'est pas faite pour simplifier la compréhension de Maurizius.

Rien ne va plus dans le couple: exaspérée par les inconséquences, les infidélités et le désamour de son mari, par sa soeur et surtout par la liaison qu'elle subodore entre celle-ci et Georges, Elli le met à la portion congrue (de surcroit, entraîné par Varemme, il s'est mis à jouer et à nocer plus que de raison.) Il est aux abois, il a besoin d'argent, il doit une forte somme..(à Varemme... ! qui l'a détournée pour lui et risque la prison s'il ne s'acquitte pas au plus tôt.) Son père, qu'il n'a pas revu depuis des lustres, ulcéré, refuse de lui venir en aide (peut-être ne le peut-il pas, car nous verrons ensuite que le malheureux consacrera toute sa fin de vie à sortir son unique fils de l'enfer de la prison.) Il revient, désespéré de son inutile voyage. Il a déjà, par jalousie, menacé Anna de la tuer et de se suicider ensuite. Il arrive chez lui, ouvre la grille, Elli sort à sa rencontre... et est tuée D'UNE BALLE EN PLEIN DOS !! Varemme, présent, (il aurait été appelé par Anna, inquiète pour sa vie) fera un témoin à charge convaincant : il a vu le revolver dans les mains de Maurizius.

Anna, prise de crises nerveuses qui font redouter pour sa vie, sera à peine et tardivement interrogée, et au procès, même l'abominable procureur -le vrai "héros" du livre, le baron d'Andergast, un homme qui a chassé sa femme (pour une simple infidélité) et lui a interdit de revoir jamais son fils**- sera sensible à son charme et n'insistera pas. 

C'est plié : désespéré et fou de colère contre sa femme, Maurizius l'a tuée en revenant de chez son père bredouille. Un seul témoin, éminemment suspect -il a une relation privilégiée avec Anna-, une belle-soeur qui, bien plus que lui, avait intérêt à la disparition d'Elli dont l'autoritarisme lui était devenu insupportable.. et dont elle est l'héritière (nous verrons plus loin que ce ne fut cependant pas son mobile).. qu'importe, il fallait que ce fût Maurizius, le juif. Le procureur, antisémite*, qui voulait sa "peau" l'emporta, contre toute logique.. et vit sa carrière prendre un foudroyant essort ! car l'affaire, étant donné la personnalité des protagonistes, avait remué le monde et une telle absence de mobiles et de preuves était autant d'arguments pour saluer le talent du magistrat qui malgré si peu d'atouts avait fait échec et mat un adversaire de poids (théoriquement car en réalité Maurizius ne s'était pas vraiment défendu, se contentant de se dire innocent.)

C'est son fils pourtant qui, approché par le vieux Maurizius qui tente en vain de se faire entendre du Procureur, va mener (ou plus exactement achever) l'enquête que le vieil homme a déjà quasiment bouclée (il a retrouvé le témoin clef, Varemme, qui se cache sous un faux nom)... et pour cela s'enfuir de chez lui. L''histoire est celle de la recherche par un jeune homme de seize ans issu de l'aristocratie prussienne arrogante et privilégié... et en même temps broyé, (il n'a jamais connu sa mère) de la vérité et de la justice sur l'affaire qui a lancé son père-icône vers la gloire, (et également, mais cela vient après, de sa mère). Pour cela, il va se plonger dans les bas fonds de la société allemande.. et réussir. Varemme, dont la perversité en fait quasiment un archétype, finit par le lui avouer : c'est Anna qui a tiré, par amour pour Maurizius. Et c'est celui-ci qui, par amour pour elle, a consenti à se charger du crime.

 Il retournera chez lui, et fera enfin craquer ce père glacé, arrogant et hypocrite qui lui a gâché la vie, celle de sa mère et la sienne avec. Mais Maurizius sera "gracié" et non réhabilité, ce qui eût signifie une erreur judiciaire, la perte, le déshonneur de d'Andergast.. Et des dommages intérêts conséquents ! d'où la crise de fureur finale du jeune garçon. D'Andergast est toutefois brisé: le jeune homme va retrouver sa mère dont personne autour de lui n'avait même le droit de prononcer le nom. Ce qui était légal, dans la société prussienne de l'époque.

** Elle existe si peu, Sophie d'Andergast, que l'actrice qui tient son rôle n'est même pas mentionnée dans le film. Peut-être le personnage est-il carrément shunté ? Et cependant dans le livre elle apparaît vers la fin, lorsque Ertzel s'enfuit de chez son père, et assez longuement.

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