mercredi 28 mai 2014

L'expérience de Milgram

  Le "Scientifique" : un homme, pas tout jeune, arrogant, en blouse si possible, distant mais aussi aimable par moment, parfaitement mis. Posture droite, tête un peu tournée, sourcils légèrement levés par moments. Sourire en lame de couteau.. Le regard de qui a beaucoup en tête et ne va pas s'attacher à des détails d'expérimentation.. La Science le gouverne.
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Pour cette expérience, 600 sujets étaient recrutés par annonce de presse parue dans la publication locale de la ville de New Haven. L’expérimentation se déroulait dans un luxueux laboratoire de l’université de Yales. Question : étaient-ils payés? Quels étaient les termes du contrat, fût-il tacite?
Observation : le prestige de Yales, le Savoir, la "Science", et ici le luxe (l'argent) fondent l'autorité et donc la propension à l'obéissance.
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On fait croire aux participants que l’on réalise une expérience sur la mémoire et que l’on cherche à tester les effets de la punition sur le processus d’apprentissage. Le sujet tire "au hasard" un papier sur lequel est inscrit le rôle qu'il tiendra durant l'expérience (tirage au sort truqué, il sera forcément le "professeur").
Observation : le sujet "professeur" croit donc que c'est le hasard qui l'a placé dans cette position, plus avantageuse que celle de l'élève. Mais il n'empêche que cette "confraternité" ne suffira pas à l'arrêter dans la torture et la mort qu'il croit infliger pour obéir au "scientifique" en blouse blanche qui représente l'autorité, la réussite, le Maître, le responsable

On lui demande de faire apprendre des paires de mots (comme "chapeau – ballon") à son élève (un acteur comparse de l'expérimentateur.)
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Consigne :
Si l’élève donne une mauvaise réponse, le "professeur" doit lui administrer ce qu'il croit être un choc électrique croissant de 15 volts jusqu’à 450 !! où il est d’ailleurs indiqué "danger". (Mort)
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L’expérimentateur ne dit que quelques phrases, d'un ton froid, autoritaire, atone :
"vous devez continuer" ou "continuez" ou "l’expérience veut que vous poursuiviez".


Tous les professionnels du comportement humain (psychiatres, étudiants ou sociologues) semblaient unanimes pour dire que, sauf quelques cas pathologiques ne représentant que 1 à 2 % de la population, la plupart des sujets allaient désobéir et ne pas administrer les chocs ; ce fut l'inverse.

Le tableau représente le pourcentage d’individus allant au choc maximal et mortel de 450 Volts, ainsi que les moyennes des chocs électriques délivrés selon la plus ou moins grande proximité de la victime (l’élève)
 
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La proximité physique (les sens) semble jouer un rôle essentiel : lorsque le sujet entend, il renonce dans 3% de cas supplémentaires, lorsqu'il voit, dans 20% environ de cas supplémentaires => la vision semble plus importante que l'ouïe.. et lorsqu'il y a contact physique, on a encore 30% de renonciation => le contact physique et la contrainte claire semblent encore plus importants dans l'empathie et/ou la force du sujet de désobéir. La distance mise entre l'élève et le bourreau joue un rôle déterminant.

Différentes variantes ont été réalisées et exposées pour la plupart ci-dessous: 

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On observe ici que les femmes vont moins loin dans le voltage des décharges envoyées (370 contre 405) et que la présence de l'expérimentateur est déterminante (sans lui, le pourcentage d'obéissants diminue de 30%).. ainsi que le lieu mais moindrement : il ne diminue que de 18% le pourcentage des obéissants... et que la liberté du sujet bourreau fait chuter le pourcentage des obéissants.. mais pas à zéro : 2,4 % continuent à envoyer des décharges -moins importantes-. Ils ont fait corps avec l'expérience et se comportent en parfaits kapos.

Ces résultats effrayants et mettent en évidence le poids de l’autorité ici symbolisée par la blouse blanche du médecin, les locaux de Yales, les postures et les "engagements"... (Peut-être l'argent?) D'autre part, lorsqu'il y a  conflit entre l'expérimentateur et un autre survenu ensuite qui semble de "force" égale avec le premier, le pourcentage des obéissants tombe à zéro. Sans l’Autorité et la hiérarchie mais qui agissent de concert, il n’y a plus de soumission. La vérité supposée (et l'éthique) est mise en balance et c'est seulement à ce moment là que le sujet va opter pour un choix personnel : arrêter.
L’individu qui entre dans un système d’autorité ne se voit plus comme l’acteur de ses actes contraires à la morale, mais plutôt comme l’agent exécutif des volontés d’autrui. Il va attribuer la responsabilité à l’autorité et non à lui. Il passe de l’état autonome (on est déterminé de l’intérieur) à l’état agentique (l’individu se sens comme un rouage d’une volonté qui est extérieur à la sienne).
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Comment se fait ce passage? Par la famille, le cadre institutionnel, Les récompenses.. d'où la réification infantilisation régression du sujet, même mal à l'aise. Il feint de ne pas voir ni entendre, et/ou désapprouve à vide "je ne suis pas d’accord mais je le fais puisqu'il le faut".
Comment il perdure? Par le contrat, de désir de tenir la parole, de ne pas décevoir un  personnage supérieur (le scientifique), peut-être de mériter son salaire.. le stress qui empêche de réfléchir..
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Mais d’où l’expérimentateur détient-il son pouvoir ?
Il n’a aucun réel moyen de coercition. Le pouvoir est une notion éminemment politique reliée aux appareils idéologique d’état : institutions publiques et privées qui élaborent, inculquent le système de norme et qui a pour fonction la reproduction des rapports sociaux existants. L’individu est en fait dès son plus jeune âge habitué à obéir et à recevoir des récompenses pour cela dans le domaine scolaire, familial ou professionnel et se trouve englué dans un profond respect de l’autorité. Il doit et va se conformer à ce qu’on attend de lui.

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