samedi 1 mars 2014

La populace. Elégie inconvenante à un ami convenable

Article tiré de "Molières sur Cèze, un village minier cévenol"  
http://molieresurceze.blogspot.fr/2011/04/normal-0-21-microsoftinternetexplorer4.html

A MICHEL, auteur à succès et ami cher

La populace dites-vous ?
Mais la populace, c’est moi, c’est vous… et même Nicole,
Enfin, j’espère… La populace, ce sont ces soirées à l’école,
Le soir sous mes fenêtres, à Clé, la mine pour horizon
 .
Et les photos d’Ethel et de Julius enlacés, dans le fourgon,
Et les mineurs espagnols, entre Bakounine et Proudhon,
Et au ciné club le mardi, «Le sel de la terre»,
Silence et recueillement. La messe, la liturgie...
.
Dans la sombre salle des fêtes de Molières,
La lumière, l’étincelle ou l’iskra, la magie.
Et puis les femmes… les rires effrénés, les rêves,
Enfin on parlait d’elles et on osait..
.
Dire qu’elles aussi pouvaient mener une grève,
Pendant que leurs hommes dehors, lessivaient
Essoraient, étendaient les draps durs et roides,
Puis, enfumant la masure de bois mouillé...
 .
Devant la cuisinière éteinte et froide,
Lavaient la vaisselle et chauffaient les biberons
Ou essayaient. Et couraient, et trébuchaient,
Et se brûlaient au chaudron...
.
Et le bébé qui hurlait…
Sous les rires étouffés des adolescents
Faisant la différence entre papa et maman.
Oui, les rires de la populace…
.
A chaque fois, les mêmes rires vivaces.
De ceux qui pour nous sont montés
Sur les barricades, sous le feu,
Qui ont obtenu les congés payés...
 .
La sécu et la retraite : si peu ?
Mais comme moi, vous en vivez.
O, ils devaient être sales et même sentir mauvais
Parler mal aussi. Et pourtant, votre douce vie...
.
Sur la montagne, c’est à eux que vous la devez aussi.
Nos ancêtres. Le droit d’écrire et de vivre,
Librement. Ma madeleine en somme.
Celle de tous les hommes.
 .
Le droit de critiquer, d’aimer et de rire,
Aussi. On m’a formatée.
Je suis un tank —actuellement en disponibilité—
Un tank romanesque. Un tank amoureux,
.
D'un juif pro palestinien, mouton noir courageux
Qui voulait vaincre les sionistes —et les siens avec eux.—
Car la populace bourgeoise existe, ma foi.
«Cette haine qui ne finira qu’avec moi» 
.
De la bourgeoisie, on pouvait dire ô Dieu, 
Bien des choses en somme, en variant le ton.
Par exemple tenez : à la Rhett Butler, odieux :
«Tout ce que je veux, c’est récupérer mon coton
.
Le reste, je m’en fous. Qu’ils s’entretuent si ça leur plaît…»
Ou précieux, le petit doigt levé :
«Mais je ne fréquente jamais la populace :
A quoi bon me faire vacciner ? »
 .
J’ai prié pour qu’elle attrape le choléra sur place…
Et, merci Jésus, j’ai été exaucée.
—En fait, ce fut une monumentale chiasse,
Je sais, ce n’est pas chic mais la guerre, Michel

… N’est pas belle —
Rétrocédant à la salazopérine, mais avec séquelles :
Un trou du cul bien abîmé, de sanglantes fistules,
Une maladie… de prolétaire, un peu ridicule…
.
Il y a des filaires qui se croient tout permis !
Je l’avoue, et ne fus pas la seule, j’en ai ri.
Dies irae. Les estérichiae choli,
 Contrairement à vous, Michel, ne font pas le détail
.
Entre Achra’fiéh et… valetaille,
Tout trou du cul étant bon à prendre
Comme tout os à ronger… cendre et salamandre,
Colibacille sans frontières, c'est la guerre..

.
Qui égalise. Je suis vulgaire?
Oui, lorsqu’on me parle de vulgarité. 
J’aime choquer, hurler, braire…
Avec les ânes, j’en suis et cela me plaît.
.
Mais pourquoi cette passion ? Car vous avez raison,
C’est un peu éthique, volontaire.
Et même… controuvé.
Sans doute est-ce érotique ; il faut bien une explication. 
.
Comme dirait notre glorieuse parfumée,
Elégante éléphante, c’est fâcheux pour ferrer :
—Naturellement, je n’ai jamais couché avec un ouvrier.
Comme on dit : je ne prends pas de sucre dans mon thé.
.
Ils n’ont pas voulu de toi ?» A la Lydie,
Sourire innocent sous la flèche cruelle,
Je copie.
Elle a ré attaqué de plus belle:
 .
—Tu peux rire, toi non plus.» Erdal, merci.
(Sinon j’aurais menti.) —Bien sûr que si.
Et toc. Je n’ai évidemment pas fait le ratio.
Et elle se fût, étonnée que, si sage,
.
J’osasse, même au terme d’un vernissage
Un peu arrosé, tenir de si horribles propos.
Une fêlée, en plus ? Anti corridas, on le savait,
Mais là, tout de même. Vulgaire, presque salace.
 .
Un ou-vri-er ? Cela ne se pouvait.
Devant les biscuits. Qui faisait rigoler la populace,
La populace esthète, éthique et classe.
La mienne aussi, je me suis régalée. Cayetana.
.
Car la populace, Michel, c’est vous et moi
Et je suis snob, c'est dit, voilà.
Je le dis et le proclame,
La populace m’enchante et m’envoûte
 .
Comme d’autres, les riches. Mon âme
Est ainsi cistronnée. Un gêne ? Sans doute.
La dignité. Des pauvres, des femmes, des ratés,
Qui furent jetés comme je l’ai été, pour d’autres raisons.
.
Ce doit être cela, simplement : la dignité,
Pouvoir parler à tous sans souci de ce qu’ils sont.
Enfin presque. Pouvoir écrire cela et en rire,
Sans en mourir.
 .
Aux lettres d’Ethel à ses fils, j'ai pleuré.
Sublimes. Ses fils de mon âge, horrifiée..
Des anciens d’Espagne. Des syndicalistes  
Des anarchistes. Dignes et forts.
.
Mains dans la main, chrétiens et communistes..
Et je n’ai pas vu de différence des discussions et des corps,
Le soir entre les militants ; ensuite, à l’université.
Ou plutôt si : leur teneur était plus juste et plus vraie.

Ma madeleine… Ma liturgie. Amen. 
.
Et merci. Hélène.

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