mardi 4 février 2014

Hannah Arendt et Martin Heidegger, les liaisons dangereuses

Hanna Arendt, Elfriede et Martin Heidegger, Karl Jasper et Gertrud Mayer,  et Heinrich Blücher...


Je n'avais jamais voulu me pencher, c'est le mot exact, par ''pudeur'' (!) sur la relation particulière de Hannah Arendt et Heidegger tant celle-ci semblait incompréhensible, peut-être pour ne pas par trop dégrader l'image que j'avais d'elle... de la philosophie en général donc des femmes philosophes et au bout de la chaîne, comme un atome, de moi-même. C'est chose faite.. Sur le cul je suis. C'est pire que ce qu'on pouvait imaginer. A côté d'elle, y compris et surtout dans ma vie intime dont je déplore à présent publiquement certains aspects, quelle féministe je fais! Cf ''une femme embarquée'', lien.)


Une jeune étudiante aux yeux noirs, brillante mais surtout pétrie d'admiration pour le ''maître''.. Un maître qui a le double de son âge, bourgeoisement marié avec une femme de ''poids'' (quoique dit-on de peu d'envergure intellectuelle.. ce qui ne l'empêche pas de dactylographier les écrits de son mari en temps et en heure*).. une épouse qui sera son indéfectible soutien sur tous les plans et qu'il n'a jamais eu l'intention de quitter, confort et carrière obligent, et père de deux enfants, voilà le tableau. Une relation humiliante donc, entre vaudeville et tragédie : elle attend dans le parc glacé, cachée derrière des buissons, le signe qu'il va lui faire à la fenêtre pour l'avertir qu'elle peut entrer, (Elfriede est enfin partie à la chorale des petits futurs nazis dont elle s'occupe avec dévouement?) un petit coup, parfois, au début, suivi d'un poème le lendemain.. et dehors.. c'est ce qui ressort, entre autres, de la thèse de Ettinger.

Nazi? Antisémite ? Comment peut-elle l'ignorer? Elle ne l'ignore pas. Ses écrits sont clairs (lien). Ses propos le furent assurément. Certes il n'y a pas encore eu la Shoah, seulement de ça de là (!) quelques pogroms. Mais sa conscience acérée - ne devint-elle pas ensuite une philosophe politique du totalitarisme !?- ne peut pas ne pas la lui faire deviner en germe, menaçante, toute proche.. ainsi qu'à lui, le Penseur du dasein, (même si ensuite elle va tenter, avec une certaine mauvaise foi, de le dédouaner -il n'aurait pas compris.. ! Il aurait été ''idiot''.. impossible car même après la découverte de l'ampleur des génocides, il n'a JAMAIS fait amende honorable-.)

Il a en tout cas fort bien compris qu'elle était un obstacle à son ambition. Il l'éloigne, (la confie à Jasper! déjà dans le collimateur des nazis car sa femme est juive!) et rompt. Un professeur briguant le Rectorat amant d'une étudiante juive serait d'emblée ''out'' dans la course à la gloire qu'il a entreprise. Et ça marche, d'autant mieux que son vieux maître -et supérieur-, Husserl, est juif donc facile à éliminer. C'est du reste le seul point sur lequel Hannah semble ne pas avoir eu d'indulgence. Elle écrira que c'est la fameuse lettre d'exclusion qui l'a tué -Husserl en effet est mort peu après- et qu'en ce sens, Heidegger est responsable de sa mort.

Un étrange quatuor va alors se créer, à distance, autour de Heidegger. L'ami indéfectible renié, l'épouse juive de celui-ci, plus dure.. l'ex jeune maîtresse brillante elle aussi juive.. qu'il faut aider pour complaire au Maître puis par amitié.. et ensuite le mari communiste de celle-ci. Tous savent ce que vaut l'homme demeuré à Fribourg, la mort d'Husserl, tous souffrent d'une amitié -et de la simple morale- trahies. Mais reste le secret extérieur, à présent en partie révélé. Jaspers demeurera, quoique plus discret qu'Hannah, toujours respectueux de l'homme ou plutôt de son oeuvre -car il n'a guère d'illusion sur l'homme- bien que la sienne, qu'il mésestime largement, vaille mieux. Ici, Heidegger se comporte comme un gourou et le quatuor figure une famille avec un père à la fois odieux et tout puissant. Banal? Oui. Mais ce qui l'est moins, c'est est que l'on a affaire ici.. à un philosophe de la psycho pathologie qui fit école -également médecin- et à une spécialiste des totalitarismes!!! Les cordonniers sont les plus mal chaussés ? Oui.

Plus de relation entre Hannah répudiée et le Maître donc. Pendant que lui prospère, elle fuit en France ou elle fut brièvement internée -elle échappera de peu au fatal transfert à Auschwitz-, puis aux USA.. où, au départ, pour survivre, elle fait des ménages chez des malades (ensuite, spécialisée en philosophie politique, elle obtient une bourse). Elle travaille, écrit, devient célèbre, et entre temps s'est mariée deux fois, la première, dit-elle, ''avec le premier venu'' -pour oublier-, la seconde avec un communiste qui sut lui redonner confiance en elle -en tant que femme-, Blücher. Il n'est sans doute pas anodin d'avoir aimé un homme comme Heidegger qui vous a traitée de la sorte et cela a dû lui laisser des marques qu'elle cache soigneusement. S'ensuit une curieuse relation à trois voire quatre.

Car rebelotte, après la guerre, ils se revoient. De son fait à lui, mais enfin elle accourt. Certes, dans un premier temps, elle l'a jugé -pour ce qu'il était-.. et durement, mais on assiste alors à un revirement à 180° : la voilà qui se lève pour le défendre ! Antisémite ? C'est seulement qu'il n'a pas compris.. Et cela n'obère en rien le génie de son oeuvre. Son oeuvre! Sans insister trop sur son passé, intelligemment, c'est de son oeuvre qu'elle se fait la défenseure, l'agent de com zélée, le gonfalon et cela porte (n'est-elle pas juive? Ne se sont-ils pas aimés? Ne s'aiment-ils pas toujours?) Le vieux nazi est alors interdit d'enseignement. C'est donc elle qui lui servira de bouclier, de faire-valoir, c'est elle qui va contribuer à sa pseudo réhabilitation, une réhabilitation non officielle mais de facto, et, le cas est unique, sans qu'il n'ait jamais exprimé le moindre regret ni remord.. en le faisant connaître aux quatre coins du monde, directement comme philosophe ou par ses écrits à elle à son sujet (car il est peu lisible ; sur tous ceux qui en parlent, combien l'ont-ils réellement lu?)

On est ici stupéfait. Si elle n'était pas juive -et entre temps.. sioniste-, si elle n'avait pas été la première à souffrir de son antisémitisme abject, elle serait taxée d'être elle-même une ex nazie ou au minimum d'une tolérance suspecte. Amoureuse encore, malgré la dégradation physique de l'homme qu'elle pointe sans fioritures ? Un syndrome de Stockholm ? Elle qui par ailleurs supporte mal la contradiction, frisant parfois l'arrogance dans ses propos, accepter de se faire la groupie d'un homme qui l'a ouvertement bafouée de la sorte? Et qui continue. On comprend mal.


                Elfriede Heidegger

Car Heidegger demeure dans les meilleurs termes avec Elfriede... plus que jamais antisémite! et il arrive que les deux femmes mises en rivalité se querellent durement. Hannah, ''philosophe'', observe seulement qu'elle est ''une idiote indécrottable''. Certes! Mais n'a-t-on pas la femme que l'on mérite? Cela n'effleure pas l'esprit de cette philosophe du totalitarisme. On est un peu gêné de mesurer ici les couleuvres que redite, cette philosophe du totalitarisme a avalées sans paraitre s'en apercevoir semble-t-il (lien avec ''des femmes embarquées.)

Mais ce n'est pas tout. Elle écrit, rencontre un vif succès, et a notamment participé au procès Eichmann, d'où son essai, contesté, sur la ''banalisation du mal''... Eichmann dont Heidegger était un camarade de parti. Mais ses écrits n'intéressent nullement le maître, qui ne les lit pas, sauf évidemment ceux qui lui sont consacrés. Le mépris, l'égocentrisme inénarrable de Heidegger même lorsqu'elle aura réussi à lui sauver la mise, ne de dément pas, ses livres, ses articles ont parfois un succès tel qu'il en redoute l'ombre portée. Il ne les critique même pas: ils n'existent tout simplement pas. Elle n'est que la ''spécialiste'' de SON oeuvre, point. ''Il fait semblant que je ne sache pas compter jusqu'à trois..'' -quand ça l'arrange- ''mais quand il s'agit de lui, il est bien content que je sache compter jusqu'à trois et même à quatre.''

* Hannah, qui n'a sans doute pas tort sur ce point, la traite d'idiote ''qui veut noyer tous les juifs''.. mais là où elle se montre à la fois candide et odieuse, c'est lorsqu'elle lui reproche de négliger un peu sa tache de copiste bénévole du maître (!) Notons que c'est l'antisémitisme d'Elfriede, peut-être plus ''nature'', qu'elle condamne et nullement celui de Heidegger... (qui à ce moment là, c'est à dire après 45! lorsque, du fait de Martin, Hanna a repris une relation avec lui et le défend) qui aurait ''changé''.

Une explication peut-être : Hanna n'a pas eu de père, mort de la syphilis lorsqu'elle avait six ans. A-t-elle voulu désespérément en trouver un dans la figure de Heidegger, prête à se soumettre, elle, femme de caractère volontiers cassante, à toutes les avanies, les trahisons et le racisme qu'il lui a infligés ? Un syndrome.

http://www.liberation.fr/livres/1996/03/28/hannah-t-aime_164694

http://www.republique-des-lettres.fr/hannah-arendt-0001.php

http://femmesavenir.blogspot.fr/2014/02/heidegger-nazi-bien-sur.html

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